Il neige sur Liège

Cela défraie la chronique depuis maintenant déjà quelques jours, et les bigots y vont de leurs raccourcis racistes, démagogiques, tous les plus abjects, les plus méprisables, et les plus médiocrement hérités d’une société de la désinformation, poussée par un régime de la sécurité et de la terreur.

Un homme a tué des « innocents » (je trouve la formule sensationnaliste, mais admettons) en pleine rue de Liège et oui, cela est grave. Mais posons déjà nos esprits.

Ceux qui sont prêts à abandonner une liberté fondamentale pour obtenir temporairement un peu de sécurité, ne méritent ni la liberté ni la sécurité. – Benjamin Franklin.
Ce qui m’a pourtant le plus retourné, ce sont les réactions de haine pure que j’ai vu s’étaler, se répandre – salissant la toile d’une propagande qui me donne envie de vomir. J’ai vu des chroniques de la haine ordinaire (au moins Desproges faisait il ça bien et drôle) qui m’ont insulté dans mon être-homme. J’ai constaté la défaite d’un système qui n’est pourtant pas à son premier échec, un système incapable de gérer ceux qu’il est sensé comprendre. Oui, comprendre, pas haïr.

Nous ne savons rien, éperdument rien, de cet homme ou de ses motivations- quelques faits, à peine, mais si peu en fin de compte. Rien donc sinon son nom, et par consonance un peu son origine. Et quoi ? C’est une indication, dont je n’ai que faire. Pour le péquin moyen, c’est « quelque part là-bas » au delà de la méditerranée, et l’image médiatique de l’insécurité dans son pays. Foutaises.

Que cherchait-il à faire par son acte ? Quelles étaient ses motivations, ses croyances, ses troubles ou son intolérance à un système pollué ? Nous ne connaissons pour le moment aucune de ses revendications, et cela doit pour moi nous empêcher de juger cet homme, de discourir sur le prétendu laxisme du système, de nous répandre en généralités accablantes – de la médiocrité de nos esprits.

Cela ne doit, et ne peut, être détourné en un discours sécuritaire, une idéologie de flicage encore plus strict parce que nous serions toujours tous coupables présumés. Nous devons nous empêcher de réclamer la justice sous le coup d’une émotion populaire aisément manipulable.

Le rôle de la démocratie n’est non pas d’assurer la sécurité d’un peuple en l’asservissant, mais toujours lui reconnaître sa souveraineté pleine et entière – ça, c’est quand on s’accorde au mot, donc quand le péquin la réclame nous suspectons que c’est ce à quoi il fait appel, pas à un fourgon à chaque coin de rue. D’accord, les plus cyniques me diront dès lors que nous ne sommes pas en démocratie, et je ne pourrais franchement leur donner tort au regard de cet article de ma plume.

À ce titre, cet article sera éclairant quand à la perte de liberté probable, ou dans cet autre une paraphrase de Chomsky (souvent mal repris d’ailleurs) :

« l’idée centrale est de parvenir à une société où les individus sont à la fois convaincus du bien-fondé du système dans lequel ils évoluent, pratiquent une auto-censure permanente et défendent leur propre asservissement pour conserver une cohésion collective. »
Ne jouons pas le jeu de l’opinion trop facilement publique, ne réclamons pas une révision de la loi sous le coup de l’émotion. Ce sont ce genre de régimes sécuritaires, d’idéologies, qui font que les USA abandonnent l’Habeas Corpus (et renoncent à leur statut déjà à peu près démocratique) et ça n’assure d’aucune façon la liberté de nous tous. Pire, ça la bride, et pour cela je ne peux laisser dire.

Ce qu’il faut réclamer, c’est une sincère interrogation. Comprendre les raisons qui ont poussé cet homme en situation de crise sociale. Ce qui a fait que notre société a été mise en échec. Pourquoi elle ne parvient toujours pas à gérer la déviance, la stigmatisant à l’extrême. Pourquoi elle s’empresse de diaboliser le mal en se croyant hypocritement supérieure.

Voilà les vraies questions que le belge moyen devrait se poser, bien loin de considérations factuelles et pathétiquement (aux racines du mot) ancrées dans l’émotion.

S’il veut s’interroger sur l’homme, sur son passé de repris de justice comme on semble nous l’indiquer dans tous les sens, il faudrait que ce soit les causes réelles des crimes, sur la nature des peines, et sur les raisons de l’échec de sa réinsertion. Les moyens structurels tel que la prison ou l’IPPJ sont à écarter du raisonnement : je ne les crois aucunement efficace (bête exemple pris dans Google, j’en ai d’autres mais pas sous le clic).

Ne m’excusez pas, mais je suis sincèrement heureux que les tribunaux populaires n’existent plus.

Soutenons les proches et sanctionnons les coupables, tous les coupables de l’échec de la situation. Pas plus. Pas moins. Et moi je continuerai d’aspirer à un monde ouvert sur tous.

« Apprends à lire, apprends à écrire, apprends à compter, apprends à parler. Apprends à penser. » – Wajdi Mouawad, Incendies.

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