SAFARI, la chasse aux français

J’aimerais faire un retour concernant l’efficacité administrative, compte tenu des récents événements législatifs en France – qui ont quelques résonances dans la voie que je voulais ouvrir sur la gestion-même des documents administratifs, vers une efficacité accrue, une économie de temps, de moyens et de ressources.

Autant brûler le torchon de suite : y accoler les affres des administrations de type Vichy mérite, selon moi, un bien bon et joli point Godwin – oui, j’avais envie de jouer au Godwin-troll qui tue lui-même les polémiques –, et une interrogation juste et sévère.

« La France n’a créé qu’une seule fois un fichier général de la population, c’était en 1940. »

D’ailleurs, ce point Godwin est à nuancer : oui, nos amis les frisons, goths ou collabos – qui devaient certainement passer leur vie sur /b/ pour être aussi mauvais – aimaient contrôler leurs administrations de façon forte et rudement efficace, au détriment de la douce humanité, de la corruption et de l’esprit villageois. Motif ? Retrouver plus facilement, plus rapidement, plus efficacement, les candidats à la déportation et aux douches communes. Cela fait tache sur le C.V. de la « France des libertés », mais ne lui en tenons pas rigueur puisque visiblement elle se mortifie encore très bien toute seule.

Mais, pourtant, nos États gardent bien les stigmates de leurs occupants les plus extrêmes ; le code de Napoléon qui fut certainement un saint homme, de grande tolérance et aux nobles aspirations, les idéaux de la Révolution Française pour laquelle je serais romantique au point de croire que les révolutionnaires folâtraient à travers les champs de bleuets, et l’administration imposée par l’Allemagne nazie cohabitent dans un État qui peine à faire sens en son sein.

Vous l’aurez compris : c’est de la poudre aux yeux – c’est le prix pour croire à la providence de son État, pour avoir confiance en nos législateurs quand ils foutent le bordel, pour croire que le pays que nous n’avons pas choisi est un bon pays, « une belle chose, qui mérite qu’on se batte pour elle » (Hemingway).

Bipolaire, paranoïaque, psychorigide et schizophrène.

Dernièrement en France est ressorti le dossier d’un fichage des honnêtes gens – la stigmatisation victimaire me fait doucement rire –, en vue d’une plus grande efficacité dans les nébuleuses administratives, faisant ressortir le dossier du dispositif SAFARI introduit à demi-mot plus haut.

Pour un complément d’information à ce sujet, plutôt que de développer par moi-même je vous renverrai à cet article mettant en écho la nouvelle loi à cet ancien dispositif, retranscrivant l’article du Monde de l’époque – je vous le conseille, l’approche historique est assez bonne, en dessous de l’indignation.

Sur la forme, cette loi est passée en pleine assemblée extraordinaire riche de 11 députés (pour 566 absents tout de même, tous payés par les contribuables). Une salle comble, vous l’aurez compris, hautement représentative de la magouille politique. Mais la forme ne m’intéresse pas, pour le moment du moins. Pour information

Certes oui, la crainte est formellement la même : une efficacité administrative complète et opérante mène à une « chasse aux français » pour reprendre le Monde. Sauf que c’est la suite logique d’un assainissement des administrations ; tendre à l’inverse signifie, pour moi, clamer la nécessité d’une inefficacité profonde et systémique du monde administratif. Mais cette inefficacité n’est pas nécessairement un mal, je m’expliquerai en filigrane plus tard, j’espère que ce sera compris. Pourtant, elle équivaut bien à jeter de l’argent par les fenêtres ce que, normalement, il vaut mieux éviter quand la dette publique se creuse de jour en jour.

Pourquoi est-ce dangereux et faut-il lutter contre ?

Le haro sur un dispositif de centralisation se forge dans une peur légitime des atrocités de la guerre : catholiquement, rien de bon ne peut émerger du mal ainsi, jamais un dispositif inventé par des personnes perçues comme malfaisantes ne pourra posséder des vertus justes et bonnes.

Cela est légitime, mais logiquement faux : je ne vois pas de contradiction à voir quelque chose de bon émerger d’un système généralement néfaste ou perçu comme tel : la généralité ou le nombre ne définit en rien un caractère absolu. Afin d’étudier la forme de ces jugements manichéens, de trancher une structure binaire entre le vrai et le faux, partant, le bien et le mal de ces dispositions héritées, je crois qu’il faut emmener cette question au-delà de la formation morale. Il faut, je crois, faire l’économie de son jugement englobant pour pouvoir s’attarder intelligemment sur des questions aussi brûlantes que l’héritage des extrémismes ; en rejeter le moindre apport est pour le moins aride.

Mais, je l’ai dit, cela n’empêche en rien la légitimité de la contestation. Si elle n’est pas valide, au moins puisse-t-elle être vraie. C’est à partir de cela que l’on peut, que dis-je, qu’il faut se soulever face à de telles mesures. Pas contre, non : face. Pouvoir les prendre de plein fouet, à bras le corps, y déposer tous les amendements nécessaires, pouvoir les critiquer, les modifier. J’ai l’idéal d’une politique ou le peuple procède à la sanité des mesures qui le concernent, mais je sais être totalement utopiste parfois.

Alors voilà, dans la République bananière de Sarkozye, on pense directement « fichage judiciaire » connaissant les mesures (non, pas sa taille, bande de moules) de cet homme au ministère de l’intérieur et à la présidence de la République. La disposition d’un fichier complet par les forces de polices ferait passer un progrès administratif dans une politique sécuritaire donnant au matraqueur les moyens de retrouver les contestataires, contrevenants, etc. Claude Guéant lui-même loue les progrès de la reconnaissance faciale depuis quelques temps, assez pour faire frémir les défenseurs de la liberté de contestation. En effet, il serait simple et automatique de fliquer les participants à une manifestation, pour les poursuivre ou leur promettre des misères. Certes oui, il y a un peu de paranoïa dans ses projections, mais encore vaut-il mieux être prudent.

Les données biométriques, criminologie politique.

Les données biométriques comme les empreintes digitales sont encore trop souvent estimées comme des liants infaillibles à l’identité des personnes, une technique scientifique irrévocable et sans défauts. Cela montre la méconnaissance scientifique des législateurs et de leurs conseillers. Pourquoi ? Parce que ces données sont falsifiables, modifiables et reproductibles (un peu de recherche en bibliothèque universitaire entre les rayons de criminologie et de science médico-légale suffisent à s’en convaincre), ce qui n’empêche pas d’y avoir recours pour des documents d’identité ; c’est un coup de publicité sécuritaire, une directive suivie suite aux problèmes sécuritaires posés par la paranoïa antiterroriste. De plus, il serait bien dommageable d’avouer avoir failli, s’être trompé, … Les volte-face en politique sont des ruines considérables.

Je vous invite, maintenant, à suivre ce lien sur la différence légale entre un lien fort et un lien faible dans l’identification des personnes. Le cadre est purement légal, dans la protection du citoyen. Plus loin, on peut même y voir une certaine entrave à la justice, à laquelle on ôte des moyens efficaces et directs pour pouvoir inculper sans appel, en allant fouiller dans la vermine, en sachant tout d’un citoyen. Encore heureux que certains s’en effraient car oui, ce genre de toute puissance de l’administration fait penser à un mélange acide entre la bureaucratie de Brazil, et une forme de technocratie de 1984. C’est en ces cas troublants que l’humain cherche des supports dans les compositions d’anticipation.

« (…) réclamer la possibilité d’un événement, individuel ou collectif, qui se présente simplement comme un écart par rapport à toute forme d’anticipation, c’est-à-dire comme un écart par rapport à notre propre réalité. » (Thomas Berns)

Ce pouvoir que l’on laisse à l’administrateur (plus qu’au législateur) est dangereux pour les libertés fondamentales – en ce sens, y laisser des béances est une nécessité pour sauvegarder les libertés fondamentales du citoyen. Faut-il que l’État sache le moindre mouvement de ses citoyens, changements protégés par un manque de communication des divers services ?

Pourquoi cela adviendra-t-il malgré tout ?

Je ne crois pas que la constitution de fichiers globaux puisse être évitée. Simplement parce que la notion d’amélioration fait loi dans les décisions. Enfin, dans beaucoup de décisions, et surtout pas pour tout le monde, mais c’est un autre débat de savoir à qui profitent les réformes.

De façon légale, cela fut rondement mené : pendant qu’on fouettait des chats ailleurs, que les gens pestaient et manifestaient contre la loi LOPPSI2, cette loi est passée en douce, se jouant de ses propres codes pour pouvoir passer en force, sans qu’aucune instance ne puisse la contester, pas même pour un vice de forme. De plus, la CNIL qui elle seule aurait pu avoir son mot à dire a été préalablement réduite à un rôle consultatif : réduite au silence ou à gigoter en vain. Platement, le législateur peut se foutre allègrement des indications de celle-ci. D’un point de vue du travail de législateur, c’est, avouons-le, rondement mené pour écraser toute opposition. À voir dans la suite du processus de validation maintenant que cela est éclaboussé par la lumière des médias.

Limites radicales nécessaires.

Je crois que l’on peut quand même s’interroger sur une forme de contre-proposition qui comprendrait les progrès qu’accomplirait ce fichier des honnêtes français. En effet, selon moi les noms, prénoms, et données du genre sont des données personnelles publiques – ce qui me ferait même pencher vers une forme d’opendata, d’une base de donnée librement accessible par quiconque et même pas seulement les administrations ou les pouvoirs policiers. Somme toute, effectuer une concentration des documents des mairies, de l’état civil, des annuaires, … Des données à fortiori pas très confidentielles, je crois.

Pour les domaines plus spécifiques nécessitant un accès commun aux documents d’identité, par exemple le ministère des finances ou de ces organismes à qui vous devez notifier vos changements d’adresse périodiquement, un moyen informatique plutôt simple pourrait être mis en place. En effet, une base de données librement accessible pourrait permettre une forme de synchronisation avec une base interne, ce qui sauvegarderait l’anonymat du transfert en lui-même. Ce genre de dispositif permettrait de laisser les domaines judiciaires et bancaires en marge de la centralisation, pouvant en bénéficier sans pour autant que l’administration légale puisse en profiter pour faire pression sur le citoyen.

Ce genre de garde-fous, dans la limite de mes connaissances, me semblent pouvoir sauvegarder la loi Liberté et Internet, dans le choix des informations à retenir et l’anonymisation des identifications. De fait, je rejette tout simplement l’idée d’une identification en ligne au moyen d’une eID, ou une authentification de paiement avec cette carte « provided by ton législateur ». Plus loin, en gagnant en efficacité administrative, on maintiendrait la séparation des pouvoirs légiférés.

La limite, la plus grande quoi soit possible sur ce point à mon avis, c’est la teneur des informations qui se retrouveraient d’une part sur une puce d’identification (comme le tatouage des esclaves ou des juifs déportés me répondront les plus trolleurs qui n’ont visiblement pas regardé leur carte d’identité de très près), d’autre part au sein d’une base de données que nous pouvons espérer protégée au mieux (mais publique). Autant soulever la question qui me brûle les doigts : le citoyen aura-t-il un droit de regard sur les données le concernant, au moins ? Le contraire me semblerait hallucinant.

Se révolter est vain et inconsistant.

Oui, un bon article ne se ferait pas en pointant l’inconscience et l’hypocrisie bête de la masse des gens. Nous sommes toujours déjà fichés, que ce soit au registre des naissances, à la mairie quand on s’établit, aux services sociaux quand on prend une carte Vitale / SIS, à la police lorsqu’il nous est demandé un certificat de bonne vie et mœurs (je ne sais pas si ça existe en France), avec notre numéro de sécurité sociale, notre permis de conduire, quand on s’inscrit dans une bibliothèque publique, un abonnement aux transports publics, l’abonnement à Internet, le numéro de téléphone, … des masses données publiques ou un peu moins sont déjà existantes et « ne demandent que ça », d’être rassemblées. Ce sont autant de traces que nous, pauvres petits citoyens inconscients, avons consentis par nos actes et notre foi bête en l’administration à laisser dans la nature, soumises à la moindre législation. Je frapperai encore en disant que nous avons participé comme de doux moutons à cet appareil duquel on parvient encore à se plaindre, tant d’un point de vue politique qu’administratif.

Et encore, j’estime limiter mon champ : les expériences de geotagging actuelles permettent d’emmener plus loin encore dans l’exploration d’un fichage participé et consenti.

Dilemme sociologique : n’être qu’un numéro.

La peur de l’administration omnipotente n’est pour moi qu’une « simple » peur de n’être qu’un numéro, un identifiant à peu près anonyme d’un système qui peut se permettre de ne plus prendre de considérations humaines. Cela passe par la sacralisation du nombre, de la donnée arithmétique : on ne se considère plus soi-même comme une individuation de la citoyenneté. Parce que la force « au dessus de nous » a voulu que nous soyons des nombres, des données au milieu de térabits d’informations.

Sociologiquement, nous parlerons de l’identification au rôle : nous devenons ce que l’autorité veut de nous, nous y croyions ou jouant simplement le jeu. Mais si c’est bien ainsi que l’administration nous considère et nous manipule dans ses colonnes, cette peur n’est pas très juste : nous ne sommes pas réduits, aliénés complètement à notre indice national. Cette sujétion n’est pas irréductible, nous restons encore, malgré tout, en dehors de ce système, des individus, citoyens, humains et personnes libres.

Le jeu, justement, nous redonne notre liberté. Celui de la contestation est là pour nous racheter, que nous fassions semblant de ne pas y croire – simplement parce que le croire c’est déjà signer à deux mains la considération numérotée de notre identité comme seule réalité possible – ou cherchions à hurler notre individualité en dehors de tout cadre, au centre de notre propre monde.

Pour tout cela, finalement, nous faut-il nous battre de toutes nos forces, pour nous départir d’un libre-arbitre limité aux confinements de notre identité nationale – grande question française à ce que j’ai pu comprendre. Sans cela, c’est nous-mêmes qui nous nous enchaînons à l’administration, et nous tomberions avec.

En laissant faire, je crois que le risque le plus grand est que, passant d’un état policé à un état policier, le citoyen se sente à l’étroit sur sa terre, voyant son propre état comme une prison.

C’est bon, j’ai fini en espérant ne pas avoir lâché tout le monde en court de route ; je vous laisse avec cette simple recommandation : regardez Vol un dessus d’un nid de coucou ce soir. Simple cadeau.