Société numérique
La société numérique, c’est maintenant – dit-on souvent. Pourtant n’est-elle pas non plus pour demain, encore moins tout de suite. Les plus gros organismes comme l’État, les institutions, ou – par hasard – les banques résistent encore et toujours à l’envahisseur recèlent encore de bases de données sur support papier. Mon job de l’été ? Scanner des fiches de clients papier, la énième copie illisible de leur carte d’identité ou quelconque document « qu’il faut ». Heureusement que ça paie bien, l’intérêt intellectuel (si je ne joue pas à l’anthropiste) frôle le zéro.
Bah voilà, tu numérises ! De quoi tu te plains ?D’abord, tu arrêtes de me tutoyer, on n’a pas égorgé les cochons ensemble. Tu apprendras ou non que j’aime me plaindre, pour la beauté du geste. Ensuite : de la bêtise de la pratique, et de son insuffisance. Je scanne des supports à peine lisibles, au contraste souvent élevé à cause de multiples manipulations par photocopies, fax, et autres joyeusetés de reproduction que permettent les administrations… rendus difficiles à décrypter (peut-être en plissant les yeux, de 3/4, dans le noir et en agitant la tête). Et encore, je ne parle pas du dernier résultat du scanning qui, ressemblant à une toile de Rauschenberg, sera, soyons-en certain, certainement au moins une fois réimprimé (monde de fous, je vous dis).
D’accord, je veux bien comprendre que numériser un contrat sur un support numérique (et pas une simple copie en ligne), moyennant authentification forte (oui, ça existe et ça marche), rappel massif des clients, … doit être lourd et dispendieux à mettre en œuvre (quoique je m’interroge sérieusement si l’investissement pour un changement à court terme est plus cher qu’un changement progressif ridicule et abscons) ; mais pas concernant les cartes d’identité, bon sang ! D’ici 2013 ne devraient plus circuler que des cartes d’identité à puce, à ce que j’ai pu voir ; toutes les informations utiles et nécessaires sont dessus (plus d’autres, mais ça n’est pas le propos), Alors pourquoi, bon sang de bois, les photocopier ou les scanner ? Surtout qu’il faut aussi y adjoindre une preuve de domicile présente sur la puce seule !
Je trouve que ce procédé hérite de méthodes archaïques, de la gestion des cartes d’identité non-numériques, et impose de façon inadaptée le fonctionnement précédent à un outil permettant le renouvellement des méthodes. De l’évolution en somme.
Puis allons un petit peu plus loin, si vous voulez bien. Abordons l’opendata ! En effet, avoir besoin de copies des documents d’identité pose le problème de leur validité, obligeant les employés – qui ont sincèrement autre chose et certainement mieux à foutre – à rappeler de pauvres sans-papiers (enfin, expirés) pour qu’ils se remettent en règle, sinon ils sont dans la merde jusqu’au cou (je grossis le trait, c’est pour l’exemple).
Quoique, rien que pour le lulz, je relèverai que certains clients qui, forts de leur position, refusent de transmettre une mise à jour de leurs papiers.
Partant de l’idée que je me fais de l’opendata, à savoir des bases de données fédérales en libre accès par quiconque ou quelconque société, concevant les documents d’identité comme fort peu confidentiels – quoique personnels, mais au nombre de fois où on les demande, on n’est pas à ça près. Pourquoi ne pas avoir pareil fichier donc, que les banques – pour continuer dans mon exemple – pourraient synchroniser (confidentialité oblige, aux requêtes il serait facile de déduire quels en sont les clients, et ça c’est moyennement professionnel) et maintenir à jour de façon réellement efficace (alertes et envoi de notification automatiques en cas de non validité, etc) ?
Il n’y a pour moi qu’un seul empêchement, un seul truc qui fait que cela n’est pas possible dans un futur immédiat : l’inertie administrative. Il est chiant de changer une procédure, fut-elle-même d’une inanité profonde dans un milieu mouvant. La résistance au changement d’une société dans son entièreté. Alors on préfère les solutions qui jouent entre deux, des demi-teintes pour essayer de sauver un vieux système. À croire qu’il y a du romantisme à sauvegarder de vieilles recettes éculées – sauf que c’est foncer droit dans le mur.